Stéphane Bonzon | Psychologue (MSc/MAS) | Compétences, Carrières & Talents

Esprit d’entreprendre et carrière : agir et construire du sens dans l’incertitude

Comment l’esprit d’entreprendre peut répondre aux défis du développement de la carrière et de sa gestion tant individuelle qu’organisationnelle dans le contexte actuel de transformation numérique, d’incertitude et de quête de sens.

Cet article est la suite du texte Esprit d’entreprendre et carrière : agissez, et le sens viendra.

Hypermodernité, innovation technologique et entrepreneuriat

Dès 1975, l’hypermodernité qui se développe progressivement découle tout à la fois d’insatisfactions et de nouvelles aspirations liées à des changements sociétaux, induits notamment par les innovations technologiques (18).

Sur le plan de l’entreprise, l’hypermodernité remet notamment en cause le dogme de la croissance en tant que facteur nécessaire à la compétitivité, tout comme l’idée de la supériorité des grandes organisations par rapport aux plus petites (19).

L’ère des startups

La vitesse de changement qui opère dans l’environnement des organisations à partir des années 1980 appelle en effet une gestion à la fois rapide et créative, défavorable aux grosses entreprises (20). La création de valeur se situe de plus en plus en aval des filières et la compétence-clé des organisations devient l’acquisition de connaissances exigeant flexibilité, adaptabilité et créativité (19).

Ces transformations appellent une montée en puissance de l’entrepreneuriat dans des formes renouvelées au sein de petites structures, individualisées, nomades et en réseau. Le temps est à l’hypofirme qui recherche la taille la plus petite pour atteindre sa performance (19).

Ce renouvèlement des formes d’entreprises opère d’autant mieux que les comportements entrepreneuriaux sont favorisés par la baisse des exigences à l’entrée caractérisant les organisations d’autrefois (21). Bienvenue dans l’ère des startups.

Entrepreneuriat et offre de sens

Désormais, l’individu de nos sociétés contemporaines donne du sens à sa vie à travers la construction d’un projet (22). Dans cette perspective, s’investir dans la création de sa propre entreprise peut être vu comme un moyen de redonner du sens à sa trajectoire professionnelle. Ceci même si, paradoxalement, l’incertitude est une condition ordinaire de l’expérience entrepreneuriale (23).

L’entrepreneuriat y ressort comme une opportunité d’alignement des croyances, des valeurs et des actions menées à travers l’acte d’entreprendre, et s’y engager dépasse de loin la satisfaction des besoins vitaux (24).

L’engagement dans un projet entrepreneurial témoigne d’un besoin « associé à une quête de liens sociaux, d’autodétermination, mais aussi de réalisation de soi ou de sens à l’existence ».

 

(Brasseur, 2012, p. 88)

D’ailleurs, les organisations où l’écart est grand entre les valeurs personnelles et les pratiques managériales contribuent à détourner l’individu vers l’entrepreneuriat dans un souci de cohérence et de quête de sens. Le projet entrepreneurial permet alors un retour à l’essentiel et s’ancre dans de nouveaux choix de vie (25).

Projet d’entreprise et projet d’entrepreneur

Si l’entrepreneuriat peut constituer une forme de réponse à la quête de sens sur le plan du développement de la carrière et du développement de soi, c’est en raison du lien étroit qu’entretiennent l’entrepreneur et l’entreprise.

Dans cette relation, l’entrepreneur est tout autant l’auteur de son projet qu’il en est le résultat, l’un et l’autre ne peuvent être dissociés (26 ; 27). Ainsi considéré, l’entrepreneuriat est infiniment plus qu’un projet économique puisqu’il est avant tout un projet de vie (26).

Pourtant, la création de sa propre entreprise ne saurait constituer une offre de sens par elle-même, ni une opportunité pour tous. Considérée comme une option de carrière, l’aventure entrepreneuriale, et l’expérience de sens reliée, peuvent se révéler bien différentes selon les choix effectués.

A la fin, tout est question d’état d’esprit… d’entreprendre !

Tout le monde n’aspire pas à devenir son propre patron. L’entrepreneuriat, au sens de la création d’entreprise, est une des formes d’expression de l’esprit d’entreprendre, mais elle n’est pas la seule (voir par exemple l’intrapreneuriat et l’extrapreneuriat).

Le modèle de l’entrepreneur ne devrait pas être considéré comme la réponse à tous les problèmes et chacun devrait pouvoir doser le niveau entrepreneurial qui correspond à ses besoins et qui convient à son activité. A ce sujet, les théories de la carrière tendraient à présenter les trajectoires de façon essentiellement dichotomique alors que la situation serait bien moins tranchée (22).

On n’est désormais plus salarié ou indépendant ! Les salariés sont aujourd’hui plus entreprenants dans leur organisation, et une version hybride de salariés-entrepreneurs s’est développée en combinant chez une même personne travail salarié et travail indépendant (28).

Conclusion

Etre créateur d’entreprise, ou ne pas l’être, n’est pas la question !

En effet, dans le contexte d’incertitude du marché du travail et de la gestion de carrière, la question tourne davantage autour de la capacité des individus à développer ce qui s’apparente à une disposition d’esprit. Plus que l’entrepreneuriat lui-même — qui peut prendre des formes diverses en fonction des situations et des moments -, c’est l’esprit d’entreprendre, qui sous-tend les comportements de l’entrepreneur, qu’il convient de développer.

L’esprit d’entreprendre pourrait bien constituer la réponse aux défis du développement de la carrière et de sa gestion tant individuelle qu’organisationnelle dans le contexte actuel de transformation numérique, d’incertitude et de quête de sens. Ceci sur au moins deux dimensions : l’agir et la construction de sens.

Stéphane Bonzon

Références

(18) Marchesnay, M. (2008). L’hypofirme, vivier et creuset de l’innovation hypermoderne. Innovations, 1, 147–161.

(19) Marchesnay, M. (2004). Hypermodernité, hypofirme et singularité. Management & Avenir, 2, 7–26.

(20) Filion, L. J. (1997). Le champ de l’entrepreneuriat : historique, évolution, tendances. Revue internationale PME : Économie et gestion de la petite et moyenne entreprise, 10(2), 129–172.

(21) Sahlman, W. A. (1999). The new economy is stronger than you think. Harvard Business Review, 77(6), 99–106.

(22) Hernandez, E. M. (2006). Extension du domaine de l’entrepreneur… et limites. La Revue des sciences de gestion, 3, 17–26.

(23) Valéau, P. (2006). L’accompagnement des entrepreneurs durant les périodes de doute. Revue de l’Entrepreneuriat, 5(1), 31–57.

(24) Brasseur, M. (2012). L’entrepreneuriat des seniors comme quête existentielle. Revue française de gestion, 8, 81–94.

(25) Bernard, M. J., & Barbosa, S. D. (2016). Résilience et entrepreneuriat : Une approche

dynamique et biographique de l’acte d’entreprendre. M@n@gement, 19(2), 89–123.

(26) Bruyat, C. (1993). Création d’entreprise : contributions épistémologiques et modélisation (Doctoral dissertation, Université Pierre Mendès-France-Grenoble II).

(27) Fayolle, A. (2004). A la recherche du coeur de l’entrepreneuriat : vers une nouvelle vision du domaine. Revue internationale PME : Économie et gestion de la petite et moyenne entreprise,17(1), 101–121.

(28) Coste, J. H. (2018). À la lisière de deux mondes: l’entrepreneur «hybride». Entreprendre Innover, (2), 36–54.

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